Les moustiques OGM n’évitent pas la dengue au carnaval de Rio.

Depuis une quinzaine d’années les épidémies de dengue se multiplient au Brésil. L’OMS a prétendu que l’utilisation de moustiques génétiquement modifiés allait éradiquer cette maladie, mais depuis les lâchers de ces insectes OGM la maladie progresse encore plus fortement au point que la flambée actuelle a troublé la tenue du carnaval de Rio, malgré l’instauration de l’état d’urgence.
Jouer les apprentis sorciers est toujours une expérience risquée.
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Qu’est-ce que la dengue ?
La dengue ou grippe tropicale est une maladie virale transmise par deux espèces de moustiques de la famille Aedes. Le virus causal est un virus à ARN (DENV) dont Il existe quatre souches différentes (DENV-1, DENV-2, DENV-3, DENV-4). C’est un arbovirus, comme ceux du Zika, du Chikungunya, de la fièvre du Nil et de la fièvre jaune.
La plupart des cas de dengue sont bénins, souvent asymptomatiques et lorsqu’ils se manifestent, ressemblent le plus souvent à une grippe banale. La dengue habituelle se manifeste brutalement après 4 à 10 jours d’incubation par l’apparition d’une forte fièvre souvent accompagnée de maux de tête, de nausées et de vomissements. Ces symptômes persistent deux à sept jours. La convalescence peut s’étendre sur environ deux semaines. La guérison de l’infection confère une immunité à vie contre le sérotype responsable sans protéger contre les autres souches.
Une nouvelle infection par un autre sérotype expose au risque de développer une forme grave marquée par des douleurs abdominales sévères, des vomissements répétés, une respiration rapide, des saignements des gencives ou du nez, dans les vomissures ou les selles, une fatigue intense, une agitation, une forte sensation de soif, une faiblesse, ou un teint livide avec une peau pâle et froide.
Globalement la dengue est une maladie fréquente mais bénigne, et sa mortalité est infime. L’OMS estime à 390 millions le nombre de personnes exposées dans le monde, avec 96 millions de malades, un demi-million de dengues sévères nécessitant une hospitalisation, et 20 000 morts (0,005%).
Il n’existe aucun traitement spécifique contre la dengue. La prise en charge clinique repose, dans les formes graves, sur des perfusions, des antipyrétiques et des antibiotiques pour éviter les surinfections chez les personnes les plus vulnérables
L’expansion de la maladie crée un marché préventif gigantesque.
Depuis la mondialisation et la multiplication des transports internationaux, la maladie a connu une expansion considérable en particulier en Amérique du Sud et au Brésil où la dengue a été signalé dès 1845. L’OMS estime que la moitié de la population mondiale y est exposée, que le nombre annuel de cas symptomatiques est passé de 40000 en 1996 à 3 200 000 en 2015 et 96 millions en 2019. Et les médias subventionnés, pour créer un marché pour les traitements préventifs (vaccins ou lâcher de moustiques génétiquement modifiés…), agitent le spectre de la maladie sans en rappeler la bénignité habituelle.
La catastrophe du Dengvaxia pourtant « déclaré sûr et efficace » par l’OMS
Le développement et l’homologation de Dengvaxia® ont duré plus de 20 ans et coûté plus de 1,5 milliard de dollars à Sanofi sans permettre d’éviter la catastrophe vaccinale des Philippines.
La saga du Dengvaxia commence en septembre 2008 lorsque Sanofi acquiert, pour 332 millions d’euros la société Acambis, propriétaire d’un candidat vaccin développé à partir d’un virus génétiquement modifié, chimère obtenue à partir des virus de la dengue et de la fièvre jaune.
Six mois plus tard, en mai 2009, Sanofi investit 350 millions d’euros pour la construction d’une usine près de Lyon et commence la production de ce vaccin sans attendre les résultats des essais cliniques de phase 2 en cours en Thaïlande.
Fréderic Tangy, chef de l’unité génomique virale et vaccination à l’Institut Pasteur a rappelé que « lorsque Sanofi a lancé les essais cliniques chez l’homme, nous l’avons alerté sur différents risques, comme celui d’une interférence possible entre les différentes souches de dengue, mais surtout celui d’une réaction immunitaire spécifique qui permet au virus d’entrer encore plus facilement dans les cellules cibles après une première exposition ». Mais cette mise en garde a été ignorée.
En 2011, les essais de phase 3 ont commencé incluant 30 000 enfants dont à peine 600 jamais infectés par la dengue. Les résultats de ces premiers essais cliniques ont été médiocres avec seulement 56% d’efficacité à deux ans et un surrisque important (700%) de formes graves chez les vaccinés les plus jeunes avec plusieurs décès. Ces résultats décevants expliquent la réticence des potentiels acheteurs et les millions de doses déjà fabriquées approchant de leur date de péremption.
Sanofi a alors mobilisé tous ses réseaux y compris le président de la République F.Hollande, pour promouvoir son vaccin. Lors d’un voyage, F. Hollande a obtenu du vice-ministre mexicain de la santé, Pablo Kuri Morales, l’AMM du Dengvaxia.
En novembre 2014, lors du sommet de l’APEC, le vice-président de Sanofi et le président Hollande ont rencontré le président philippin B Aquino, pour lui vanter le vaccin présenté dans tous les médias comme un vaccin « révolutionnaire, efficace et sans danger » capable « d’éviter 93% des dengues hémorragiques ».
Six mois plus tard, la ministre de la Santé des Philippines, J Garin, se rend en France, visite l’usine du Dengvaxia et accepte le prix demandé par Sanofi, lors d’un dîner sur les Champs-Elysées avec les dirigeants de l’entreprise.
En septembre 2015, les résultats des essais des trois premières années sont rendus publics : le vaccin n’est pas très efficace et surtout « les enfants vaccinés avant 5 ans ont un risque d’hospitalisation de dengue sévère 5 fois plus élevé que les enfants non vaccinés ». Mais plutôt que de faire un nouvel essai pour mieux comprendre, Sanofi accélère ses efforts pour une commercialisation la plus rapide possible.
En décembre 2015, après une nouvelle rencontre, les dirigeants de Sanofi, le président B. Aquino et J. Garin organisent en urgence une campagne massive de vaccination dont le coût dépasse les 3 milliards de pesos (plus que l’ensemble des sommes allouées à l’ensemble des autres programmes de vaccination aux Philippines, alors que la dengue ne fait pas partie des dix premières causes de mortalité). L’un des plus fervents apôtres du vaccin est K Hartigan-Go, sous-secrétaire à la santé de 2015 à 2016, mais aussi fondateur de la Zuellig Family Fondation, dont la branche pharmaceutique obtient l’exclusivité de la commercialisation du vaccin aux Philippines. Partout connivence et conflits d’intérêts.
J.Garin ministre de la Santé s’auto-nomme directrice de l’Agence du Médicament pour décerner l’autorisation immédiate de mise sur le marché pour le Dengvaxia, sans respecter la procédure d’attribution des marchés publics. Puis elle annonce qu’un million d’enfants philippins bénéficieront gratuitement de ce vaccin « miracle » grâce au gouvernement, avant les prochaines élections. Lors de retransmissions télévisuelles, cette vaccination sera souvent accompagnée de distribution aux enfants de tee-shirts jaunes, couleur de son parti. Dans le même temps, une intense campagne de publicité trompeuse et souvent mensongère mobilise tous les médias philippins pour la promotion de ce vaccin.
En avril 2016, l’OMS se joint à la campagne de publicité du Dengvaxia en présentant la dengue comme « la maladie virale transmise par les moustiques la plus importante du monde » et affirme « qu’endiguer sa propagation est une priorité » et « conseille la vaccination dans tous les pays à forte endémie de dengue ». Cette affirmation mensongère , rappelle la déclaration scandaleuse de pandémie lors de la crise de la grippe H1N1 et les liens entre les experts de l’OMS et l’industrie très largement soulignés par British Médical Journal.
Déclaration d’autant plus scandaleuse qu’à cette date, plusieurs articles de chercheurs d’universités de quatre pays (Portugal, Brésil, Grande-Bretagne, USA) mené par S B Halstead avaient alerté sur les risques qu’entraînerait une vaccination contre la dengue.
Leurs analyses contestaient les résultats de Sanofi et soulignaient que le vaccin était susceptible d’augmenter le risque de dengue sévère chez les sujets jamais contaminés. Ils exhortaient les organisateurs de la campagne de pratiquer des tests de diagnostic avant vaccination et insistaient sur le fait que l’OMS n’aurait pas dû recommander le vaccin sur des résultats publiés par la compagnie pharmaceutique, sans analyser les données brutes.
En plus des publications internationales sur le sujet en 2016, le Dr Halstead avait adressé au comité philippin chargé d’évaluer l’intérêt de la vaccination une vidéo rappelant ces risques.
Dans une déclaration datée du 7/10/2016 le Haut Conseil de la Santé Publique avait refusé de recommander ce vaccin. « Le HCSP n’est pas favorable à l’utilisation anticipée de ce vaccin dans les Territoires français d’Amérique. Certaines comorbidités, essentiellement la drépanocytose, pourraient favoriser la survenue de formes graves de dengue et un risque relatif accru d’hospitalisation pour dengue chez les enfants vaccinés les plus jeunes par rapport aux non vaccinés».
Pourtant, dès avril 2016, commence aux Philippines une campagne massive de vaccination scolaire touchant en priorité les zones qui rassemblent le plus d’électeurs. Les vaccinations se déroulent dans de nombreux cas sans la présence de médecins et sans que les parents soient prévenus. Elles concerneront au total plus de 830 000 écoliers philippins. Rapidement des accidents se multiplient touchant particulièrement les plus jeunes vaccinés et en novembre 2017, Sanofi reconnait enfin « un risque accru de dengue sévère pour ceux qui n’ont jamais été exposés au virus ». Le gouvernement suspend enfin la vaccination et les pays qui avaient autorisé la commercialisation du Dengvaxia l’ont retiré, ou restreint son utilisation aux personnes ayant déjà subi une attaque de dengue.
En décembre 2018, des milliers d’enfants philippins ont été hospitalisés, plus de 500 morts ont été déclarées par les parents et, selon le bureau du procureur P. Acosta, les vérifications autopsiques ont prouvé que 103 enfants vaccinés étaient morts de dengue hémorragique.
Manifestation des familles au Philippines. Capture d’écran.
Les familles manifestent pour obtenir justice, et accusent Sanofi d’avoir traité les enfants philippins en cobayes, et les politiques et administratifs de corruption. Depuis, les électeurs ont chassé du pouvoir les politiques responsables de cette catastrophe et le nouveau gouvernement philippin a imposé à Sanofi la création un fonds d’indemnisation pour prendre en charge l’hospitalisation et les traitements de tous les enfants qui pourraient développer une forme sévère de dengue. Le procureur a procédé à des mises en examen contre près d’une vingtaine de philippins dont Aquino (ex-président), Janette Garin (ex-ministre de la Santé), Butch Abad (ex-ministre du budget), et Paquito Ochoa (ex-secrétaire du gouvernement) et 6 responsables français de Sanofi (qui ont tous quitté les Philippines). Sans oublier 19 autres mis en examen dont Rose Capeding, ex-chef du département de médecine tropicale et Tropical Medicine (RITM) qui encourent une peine de 48 ans de prison pour « homicide par imprudence pour avoir facilité l’approbation hâtive du dengvaxia et la mise en place de la campagne scolaire de vaccination. »
En septembre 2018, les résultats catastrophiques du dengvaxia ont contraint l’OMS à modifier ses recommandations : « …le suivi à long terme a révélé un signal d’innocuité très préoccupant chez les receveurs de vaccins séronégatifs. La génération et les analyses de données supplémentaires ont confirmé le signal, entraînant une modification de l’indication demandée au promoteur, des recommandations d’utilisation de l’OMS et des approbations des organismes de réglementation…Le CYD-TDV s’est avéré efficace et sûr dans les essais cliniques chez les personnes séropositives, mais comporte un risque accru de dengue sévère chez ceux qui subissent leur première infection naturelle par la dengue après la vaccination (individus séronégatifs)…Seules les personnes présentant des preuves d’une infection passée par la dengue doivent être vaccinées sur la base d’un test d’anticorps ou d’une infection par la dengue confirmée en laboratoire documentée dans le passé. »
Les complications post vaccinales observées aux Philippines et les médiocres résultats des nouveaux vaccins ont entraîné un net recul des indications vaccinales dans l’ensemble des pays qui pourraient en avoir besoin. L’espoir s’est orienté sur la lutte contre les vecteurs et en particulier par l’utilisation de moustiques génétiquement modifiés.
Laboratoire de création de moustiques OGM. Capture d’écran.
Les moustiques génétiquement modifiés
Les moustiquaires et les pulvérisations d’insecticides ont joué un rôle majeur dans la réduction du fardeau du paludisme et leur association aux traitements curatifs ont même permis son éradication dans de nombreux pays africains (Algérie, Cap vert, Ile Maurice) et asiatiques. Mais il n’existe pas de traitement curatif pour la dengue et de nombreuses espèces de moustiques sont devenues résistantes aux insecticides.
Aussi des scientifiques ont imaginé de modifier génétiquement les moustiques pour les rendre incapables de transmettre la maladie ou pour réduire drastiquement la taille de la population. La technologie a été développée en 2002 au Royaume-Uni par l’entreprise britannique Oxitec. Un gène est introduit dans le moustique rendant l’insecte dépendant à la tétracycline, un antibiotique. Sans lui, l’insecte meurt. L’hypothèse avancée était que ces moustiques OGM, lâchés dans la nature en quantité deux fois supérieure à celle des moustiques sauvages, attireraient les femelles pour copuler mais que les gènes de cette souche n’entreraient pas dans la population de moustiques autochtones car la progéniture mourrait ou serait incapable de se reproduire.
Des tests, commencés en 2011 dans l’Etat de Bahia ont montré une réduction de plus de 80% de la population de moustiques. Mais l’association Inf’OGM s’est inquiétée du manque de transparence de l’entreprise sur ses résultats, et que l’élimination du moustique serait incomplète, avec la survie de 3 % des insectes mettant en doute la capacité de la méthode à enrayer l’épidémie.
Le marché potentiel a fait rêver les fabricants des moustiques OGM après le lâcher de moustiques génétiquement modifiés au Panama, facturé plus de 2§ le moustique et amenant le cout de l’éradication de 20,000 moustiques sauvages à près de 14.5 millions de dollars par semaine ! Selon Glenn Slade, une ville de 50.000 habitants devrait débourser de 2 à 5 millions de reais (soit quelque 670.000 à 1,6 million d’euros) par an pour bénéficier de cette méthode et un million de reais (335.000 euros) les années suivantes pour le maintien de la population des insectes transgéniques . Cette méthode a été largement promue par leurs fabricants, l’OMS et Bill Gates qui affirmaient que la méthode ne présentait aucun risque pour la population.
Les premiers essais dans la commune de Niterói (État de Rio de Janeiro), avaient effectivement conclu à une réduction des cas de dengue de 76 %.
Depuis 2017 des millions de moustiques génétiquement modifiés ont commencé à être relâchés dans la nature venant d’une usine à moustiques, produisant chaque mois jusqu’à 10 millions de moustiques mâles transgéniques.
Mais ces moustiques génétiquement modifiés ont donné naissance à des moustiques hybrides. Une étude de l’Université de Yale a montré que la population de moustiques est maintenant un mélange génétique entre la population initiale, les moustiques Aedes Aegypti, et la souche mexico-cubaine. Selon les chercheurs, cela a conduit à former des populations plus robustes encore !
Cette évolution imprévue des populations des vecteurs a été suivie par une forte augmentation des poussées de dengue au Brésil. En 2002, 60000 malades avaient été recensés ; Ils ont été 1 million en 2010, 1,4 million en 2013 , et 1,6 million en 2023 et 1,2 million de cas durant les seuls deux premiers mois de 2024 forçant la ville de Rio à décréter l’état d’urgence en santé deux jours avant l’ouverture du carnaval. Dans l’immédiat, pour faire face à cette explosion de l’épidémie, le gouvernement brésilien a entrepris une campagne expérimentale de vaccination par le vaccin takeda, malgré les risques de cette méthode dont les essais ne sont pas concluants.
Dans le cadre du World Mosquito Program le gouvernement du Brésil avait prévu de relâcher 5 milliards de moustiques OGM sur son territoire en 2024 ; l’échec actuel de sa politique « moustique OGM » le fera -t-il revoir ses ambitions à la baisse ?
Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Celui des dengues graves le serait-il de vaccins et de moustiques OGM ? Ne serait-il pas moins dangereux d’insister sur les gestes traditionnels de chasse aux moustiques ?
Dr Gérard Delépine